L’enfance (1921-1938)

Ivo Livi est né le 13 octobre 1921 à Monsummano Alto en Toscane.
Il est le troisième enfant de Giovanni et Giuseppina Livi.
Sa sœur Lydia est née en 1915 et son frère Julien en 1917. La famille Livi est très pauvre. Giovanni Livi, militant du Parti communiste italien dès sa fondation en 1921, est persécuté par son beau-frère, militant fasciste.

Mon père a tout encaissé, les sévices, les bastonnades, jusqu’à l’huile de ricin qu’on lui a fait avaler de force, comme les fascistes le faisaient à l’époque avec leurs adversaires… Un jour, mon père a compris qu’il ne s’en tirerait pas. Il est parti à pied pour la France.

yves-a-3-ans-avec-giuseppina-julien-et-lydiaC’était en 1924 et quelques mois plus tard, Giuseppina et les trois enfants le rejoignent à Marseille. Les Livi s’installent dans les quartiers pauvres. Pour Giovanni, Marseille n’est qu’une étape. Il veut s’embarquer pour l’Amérique, mais quand il se présente au consulat américain, il découvre que depuis vingt-quatre heures, les visas sont supprimés et les conditions d’entrée aux Etats-Unis très restreintes. Il crée alors
une petite fabrique de balais et ses deux aînés quittent rapidement l’école pour l’aider.

En 1929, la famille obtient la nationalité française. Ivo n’est pas doué pour les études et en grandissant l’école qu’il se met à préférer est l’école buissonnière. En 1932, les ravages de la crise économique de 1929 précipitent Giovanni vers la faillite. Lydia devient alors coiffeuse, et Julien serveur de café. Ivo, âgé de onze ans et demi, quitte l’école sans regret et part travailler en usine. Il emballe des pâtes sous cellophane. À quatorze ans, il devient apprenti dans le salon de coiffure de sa sœur Lydia, et obtient avec succès son CAP de coiffure.

A cette époque Giovanni reprend contact avec le Parti communiste et devient très vite responsable de secteur des antifascistes italiens. Avec un tel exemple à la maison, Julien est saisi à son tour par la vocation et adhère, en février 1933, aux Jeunesses communistes.yves-a-11ans

Je suis de cœur avec mon père, avec mon frère Julien qui est aussi un militant du Parti. Mais je ne comprends rien à leurs discussions. Il ne m’est jamais venu à l’idée de rentrer au Parti. Pour moi, j’étais déjà au Parti, sentimentalement. Que je sois inscrit ou pas inscrit, cela ne faisait pas de différence.

Ivo, devenu adolescent, se passionne donc pour le cinéma, qui meuble ses rêves, ses loisirs et l’essentiel de son existence.

J’adorais Fred Astaire. Les numéros de claquettes, en particulier, m’emplissaient de joie… Je voulais danser comme lui. De même, quand je voyais Gary Cooper, je croyais que j’étais vraiment Gary Cooper. Je m’entraînais à sourire comme lui.

Ivo Livi devient Yves Montand (1938-1948)

En 1938, à l’âge de 17 ans, la vie d’Ivo Livi bascule. Il monte sur scène et prend le pseudonyme d’Yves Montand, en souvenir de sa mère qui, pour l’appeler lorsqu’il jouait, plus jeune dans le rue, criait : Ivo monta ! Le 21 juin 1939, quelques mois après avoir commencé à chanter dans des petits galas de banlieue, Montand passe à l’Alcazar de Marseille et chante Dans les plaines du Far West. C’est un triomphe qui marque le début d’une ascension fulgurante que la guerre vient interrompre.

En août 1939, la seconde Guerre mondiale éclate, l’accord germano-soviétique est signé. Dans le monde entier, c’est la stupeur et l’angoisse. Giovanni est ébranlé dans ses convictions. Julien est mobilisé et fait prisonnier de guerre. Au printemps 1940 Montand entre comme manœuvre métallurgiste aux Chantiers de Provence pour trois mois, puis devient docker.

La carrière de Montand redémarre au printemps 1941 pour ne plus s’interrompre. Après une tournée régionale organisée par Berlingot, il retourne chanter à l’Alcazar de Marseille où il est « la révélation de l’année ». Audiffred devient son impresario. En Septembre, il passe à l’Odéon. En octobre, il se produit en vedette au Cinéma National de Marseille. A la fin de l’année, il est la vedette d’une revue intitulée Un soir de folie. Les salles sont bourrées. Les Français manquent de tout. Ils ont froid et faim, ils sont malheureux alors ils sortent s’amuser. Montand touche son rêve du bout des doigts : il fait sa première apparition au cinéma en tant que figurant dans La prière aux étoiles de Pagnol.

Au printemps 1942, Yves est enrôlé dans les Chantiers de Jeunesse. Marseille est occupée. Il est libéré à la fin de l’année. Le jeune homme auréolé de sa gloire tout fraîche, de nouveau libre, chante, joue au poker et séduit les femmes.

Quand j’étais aux Chantiers de jeunesse, j’ai été convoqué avec trois autres gars chez le commandant. Il tient une liste à la main et nous appelle les uns après les autres. Les trois ont des noms juifs. Moi, je suis le dernier : « Et toi tu t’appelles Levy ? – Non pas Levy, mais Livi. » Le commandant vérifie et corrige sa liste. Il me renvoie. Les trois autres sont embarqués. Plus personne ne les reverra. (…) J’ignorais qu’à deux voyelles près j’avais droit à un aller sans retour pour Auschwitz. Cette idée m’a poursuivi pendant des années.

Le 17 février 1944, fuyant les rafles pour le service du travail obligatoire (STO) en Allemagne, Montand débarque à Paris sans papiers. Audiffred lui a décroché un contrat à l’ABC. Il y triomphe, puis ce sera le Beaulieu, les Folies-Belleville et Bobino.

Au tout début du mois d’Août, juste avant la Libération de Paris, il est choisi pour être la vedette américaine d’Edith Piaf au Moulin Rouge, le plus prestigieux cabaret parisien et doit auditionner devant elle.programme-piaf

Entre Yves et Edith, l’amour est immédiat. Généreuse et dévorante, elle le guidera dans le choix de sa tenue de scène et demandera à Henri Contet, entre autres, de lui composer un nouveau répertoire notamment Gilet rayé et Ce Monsieur-là. Piaf, lui conseille d’insérer immédiatement Luna Park et Battling Joe, alors en préparation et lui écrit Elle a, La Grande Cité, Le fanatique de Jazz, Mais qu’est-ce que j’ai à tant l’aimer ?p19

J’ai vingt-trois ans. C’est mon premier amour vrai. Edith est quelqu’un qui te fait croire que tu es Dieu, que tu es irremplaçable.(…) La chanson, la musique sont constamment là. Je découvre un monde que j’ignorais, un monde cultivé : Cocteau, Michel Simon, Paul Meurisse…

photo-de-scene-2Le 5 octobre 1945, il se produit pour la première fois en vedette au théâtre de l’Étoile à Paris. Le succès est tel que le 30 novembre, au terme de sept semaines au cours desquelles, chaque soir, le théâtre de l’Etoile est bondé, il déménage et poursuit son récital à l’Alhambra. Son succès creuse une faille entre Edith et lui…

Professionnellement, je dois beaucoup à Edith Piaf. Mais elle ne m’a pas « fait ». Elle ne m’a pas créé. Elle m’a aidé – merci, Edith – et surtout elle m’a aimé, elle m’a épaulé et m’a blessé, avec tant de sincérité, tant de rires et de grâce qu’il m’a fallu plusieurs années pour guérir.

Au moment précis de cette déchirure, Montand et Piaf sont à nouveau sur une affiche. Mais, cette fois, une affiche de cinéma. Etoile sans lumière sort le 3 avril 1946 dans lequel on le juge « sympathique ». Cette même année Montand est choisi par Marcel Carné et Jacques Prévert pour remplacer Jean Gabin dans Les Portes de la nuit, avec Nathalie Nattier, Serge Reggiani et Pierre Brasseur. Il remplace Jean Gabin, elle, Marlène Dietrich.

A sa sortie, le 4 décembre, le film est considéré comme un désastre. Les spécialistes arborent une moue sceptique ou assassine. Les spectateurs, eux sifflent carrément. Henri Jeanson résume à lui seul ce que pense l’ensemble de la presse, en parlant dans Cinémonde de « la plus grosse déception de l’année ».photo-de-scene

Le film a fait un bide, un vrai. Et Prévert m’a simplement dit : « Ne vous inquiétez pas, on a fait un bon truc. » En un sens, il avait raison, c’est devenu une sorte de classique. Avec Gabin et Marlène (Dietrich), ç’aurait été un chef-d’œuvre. L’attente était trop forte, le budget était énorme, le lancement avait coûté une fortune. Et je me revois, en smoking, le soir de la première, face à Edith qui m’a quitté et qui me sourit. Un coup pareil, je n’en ai pas connu d’autre dans ma vie.

En 1947, Jacques Prévert écrit pour Montand et bouscule son répertoire. Il lui présente Francis Lemarque, qui donnera à Montand quelques unes de ses plus belles chansons. Et puis, il lui présente Henri Crolla, le plus formidable guitariste qui soit, avec Django Reinhardt, dont il est l’égal. Au mois de mai, Bob Castella devient son pianiste et ami. Il l’accompagnera tout au long de sa carrière.

C’est à cette époque, pendant que je retrouve la pêche, que se forme mon équipe, ma bande. (…) Mes musiciens viennent du jazz. Rostaing, excellent arrangeur, est un des plus grands clarinettistes. Paraboschi, le batteur, en a sué des Battling Joe ! Soudieux, à la contrebasse, est lui aussi un grand, il a des cals terribles. Et puis il y a Crolla qui joue, compose, improvise. Ca y est, j’ai « mon » son, le swing.

Ce que j’essaie de faire, à côté des chansons franchement populaires ou des chansons-sketches, c’est de réunir des beaux textes poétiques, par exemples Les Saltimbanques d’Apollinaire, et des musiques bien rondes.

La rencontre (1948-1955)

Entraîné par Henri Crolla et Jacques Prévert, Yves Montand découvre Saint-Paul de Vence et l’auberge de la Colombe d’Or. Entre deux tours de chant, deux films ou deux livres, beaucoup d’artistes viennent goûter l’hospitalité de Paul et Titine Roux, les maîtres des lieux, qui les accueillent en amis plus qu’en clients. Jacques Prévert réside à deux pas, Picasso et Braque viennent en voisins. Au printemps 1949, Yves Montand est de passage à la Colombe d’Or car il doit chanter à Nice, ainsi qu’au mariage du prince Ali Khan avec Rita Hayworth.

avec-crolla2Le 19 août, c’est la rencontre légendaire entre Simone Kaminker, Simone Signoret à l’écran et Montand. Simone, alors épouse du réalisateur Yves Allégret, dont elle a une fille, Catherine, possède depuis un an une maison à Saint-Paul et est, elle aussi, une habituée de la Colombe. « En quatre jours, écrira-t-elle dans La Nostalgie n’est plus ce qu’elle était, il s’était passé une chose fulgurante, indiscrète et irréversible. »

De retour à Paris, c’était intense, violent, c’était une joie, une fête, et puis à 7 heures, elle rentrait « à la maison », « chez elle », c’est-à-dire chez un autre. Peut-être cela aurait-il été viable un an ou deux. Je ne sais pas, je ne crois pas, c’était déjà insupportable. J’ai demandé à mon agent de m’organiser immédiatement une tournée. Il me propose Casablanca, Alger et Tunis. Va pour Casa, Alger et Tunis. A Simone, qui tergiverse, je dis que je pars pour une quinzaine de jours, que si elle ne s’est pas décidée lorsque je reviendrai, je romps définitivement. Elle pleure. J’en suis malade moi-même, je suis convaincu que notre histoire est fichue. (…) Ensuite, les choses ne traînent pas. Me voici de nouveau à Paris. Huit jours plus tard, Simone s’installe chez moi, rue de Longchamp. Yves Allégret accepte qu’elle emmène Catherine et qu’elle demande le divorce. Nous avons commencé à vivre ensemble. Pour la vie. Pour de vrai.

Montand triomphe à nouveau au Théâtre de l’Etoile en 1951. Ce show est une date clé car pour la première fois il est seul en scène pendant deux heures avec vingt-deux chansons et deux poèmes. Il ne reviendra plus au tour de chant traditionnel. Le 21 décembre 1951, Montand et Simone se marient à Saint-Paul de Vence. Jacques Prévert et Paul Roux sont leurs témoins.

En 1952, le couple s’installe Place Dauphine. Henri-Georges Clouzot offre à Montand son premier grand rôle au cinéma, avec le Salaire de la peur. Ce film obtient le Grand Prix du Festival de Cannes 1953 et Charles Vanel le Prix d’interprétation masculine.

En octobre 1953, prévu pour trois semaines, son nouveau one-man-show au théâtre de l’Etoile dépassera les deux cents représentations, du 5 octobre 1953 au 5 avril 1954. Six mois entiers, une recette brute de 118 millions de francs. Plus l’enregistrement live du spectacle, dont la pochette sera dessinée par Jean Effel. Plus un Disque d’or (un million d’exemplaires) pour Les feuilles mortes. Montand jugera ce récital comme le plus accompli de sa carrière.ym-ss-mc

En 1954, Montand qui, pour la première fois de sa vie, a gagné une réelle fortune, achète une propriété à Autheuil-Authouillet, en Normandie. Cette demeure devient très vite la maison des copains. François Perier, Françoise Arnoul, Roger Pigaut, Serge Reggiani, Pierre Mondy, Pierre Brasseur, Bernard Blier, José Artur ou Jacques Becker y viennent régulièrement.

N’essayez pas de me faire avouer que nous avions d’immenses querelles idéologiques. Avec Montand, j’ai essentiellement le souvenir d’avoir énormément ri, en ce temps-là. (Serge Reggiani)

Quelques mois plus tard, Montand et Signoret jouent au théâtre la pièce écrite par Arthur Miller Les Sorcières de Salem, largement inspirée de l’affaire Rosenberg. Adaptée par Marcel Aymé, présentée pour la première fois au Théâtre Sarah Bernhardt à Paris et mise en scène par Raymond Rouleau, elle remporte un tel succès que les représentations durent jusqu’à noël 1955.

La tournée dans les pays de l’est (1955-1958)

En mars 1956, devant le XXe congrès du PC d’Union soviétique, Khrouchtchev dénonce dans un rapport prononcé à huis clos les crimes de Staline. Le chef du communisme mondial critique les erreurs du communisme. L’ébranlement est considérable, en particulier dans les pays de l’Est.

Au début de l’été 1956, Montand et Signoret se rendent en Allemagne de l’Est afin de tourner la version cinématographique des Sorcières de Salem. Raymond Rouleau en assure de nouveau la mise en scène, mais, cette fois, l’adaptation est de Sartre.

En Pologne et en Hongrie, intellectuels et ouvriers descendent dans la rue pour demander les libertés fondamentales. A Budapest, en novembre 1956, l’Armée rouge intervient et écrase l’insurrection dans le sang. Alors qu’en Europe occidentale, militants et sympathisants communistes s’interrogent et protestent, Montand s’apprête à entamer une tournée en URSS et dans les pays de l’Est.

Budapest, c’est le coup de poing dans la gueule. Après l’intervention russe à Budapest, je ne savais plus quoi faire. Je changeais d’avis toutes les heures. D’un côté, j’avais pris un engagement professionnel que je voulais honorer. Je n’étais pas seul, mes musiciens étaient retenus depuis longtemps. En même temps, j’étais catastrophé par ce que je voyais.

Après de multiples menaces et polémiques, Yves Montand, accompagné de Simone Signoret, s’envole pour Moscou le 16 décembre 1956, où Krouchtchev, Molotov, Mikoyan, Boulganine et Malenkov les convient à un souper mémorable qui dura plus de quatre heures.

Après Moscou et le stade Ouljniki où il se produit devant vingt mille moscovites, Montand entame une tournée triomphale dans les pays du Bloc de l’Est.

Les évènements de 1956-57 signifient pour moi la perte de la foi. J’entame une longue marche en moi-même. Je continue d’espérer. Je ne crois plus.

Les tournages des films Un dénommé Squarcio, Premier mai et La loi, se succèdent et Montand triomphe à nouveau au théâtre de l’Etoile en octobre 1958. Norman Granz, l’impresario d’Ella Fitzgerald, est dans la salle. Il veut le faire chanter à New York et lui obtiendra un visa.

L’Amérique (1958-1963)

Le 10 septembre 1959, Montand et Simone s’envolent pour New York. Quinze jours plus tard, il triomphe au Henry Miller’s Theatre, dans la 43e Rue, à Broadway. A la première, assistent entre autres, Montgomery Clift, Lauren Bacall, Paulette Godard, Sidney Lumet, Ingrid Bergman, Marlène Dietrich et Marilyn Monroe. Le « one man show » prévu pour trois semaines va en durer sept ! A Los Angeles, San Francisco et Montréal où il se produit, toutes les places sont louées d’avance. La presse américaine délire d’enthousiasme. Hollywood le reçoit à bras ouverts et la Twentieth Century Fox lui propose de tourner Let’s Make Love (Le Milliardaire) de George Cukor avec Marilyn Monroe. Le rêve devient réalité.

Au début de janvier 1960, Arthur Miller et son épouse viennent s’installer au Beverly Hills Hotel de Los Angeles. Le couple new-yorkais hérite de l’appartement n°21, symétrique de celui qu’occupent Yves et Simone. Les deux couples se lient d’amitié. En avril, Simone reçoit l’Oscar de la meilleure actrice pour un film anglais, Room at the Top (Les Chemins de la haute ville) de Jack Clayton. Une grève des techniciens a fait prendre deux mois de retard au film. Simone doit partir tourner à Rome et Arthur Miller rentrer à New York.

J’avais Marilyn pour moi tout seul et je ne le savais pas. (…) Un jour, elle est vraiment fatiguée, elle me prévient qu’elle sera hors d’état de répéter. Et moi, j’ai une scène délicate sur les bras. Je m’apprête à rentrer chez moi et à potasser de mon côté. Je croise Mme Strasberg, la duègne, qui me dit : « Allez donc dire bonsoir à Marilyn, vous lui ferez plaisir parce qu’elle est ennuyée de ne pas pouvoir travailler… » J’y vais. (…) Il me reste une demi-page à réviser pour le lendemain. Je lui fais le « kissing good night. » Et sa tête pivote, mes lèvres dérapent. C’est un baiser superbe, tendre. Je suis à moitié sonné, je bafouille, je me redresse, déjà envahi par la culpabilité, me demandant ce qu’il m’arrive. Le lendemain, les choses paraissent d’abord rentrées dans l’ordre. Nous travaillons. Mais c’est un incendie, un déchirement, je n’essaie même plus de calmer le jeu.

Juin tire à sa fin. Et la participation de Marilyn au film aussi. Elle repart pour New York tandis que Montand postsynchronise quelques scènes où sa diction est défaillante. Cette solitude favorise un examen de conscience.

Pas une seconde je n’ai envisagé de rompre avec ma femme, pas une seconde ; mais, si elle avait, elle, claqué la porte, j’aurais probablement fait ma vie avec Marilyn. (…) Par l’attitude qu’elle a choisie, Simone a empêché que la question se pose. De fait, elle ne l’a pas été.

ss-mmEn effet, pour contrer la presse à scandales, avec un formidable sursaut d’intelligence et d’orgueil, Simone Signoret déclara : Vous en connaissez beaucoup d’hommes, vous, qui resteraient insensibles en ayant Marilyn Monroe dans leurs bras ?

Montand enchaîne alors trois films américains : Sanctuaire de Tony Richardson avec Lee Remick et Bradford Dillman, Ma Geisha de Jack Cardiff, avec Shirley MacLaine et Edward J. Robinson et Aimez-vous Brahms ? d’Anatole Litvak avec Ingrid Bergman et Anthony Perkins.

ym-marilyn-et-gene-kellyA partir du 24 octobre 1961, il retourne se produire à Broadway au Golden Theatre, pour huit semaines, à guichet fermé. Durant le premier semestre 1962, une tournée l’emmène avec Simone au Japon, puis en Angleterre, avant de préparer sa rentrée parisienne pour novembre 1962. Montand est très certainement, à cette heure, l’homme de music-hall français le plus célèbre au monde.

Dans la nuit du 4 au 5 août 1962, Marilyn est retrouvée morte, chez elle. Montand ne fera pas de commentaire…

Le 9 octobre 1963, Edith Piaf disparaît. Le 22 novembre de cette même année, c’est l’attentat de Dallas et l’assassinat de Kennedy.

L’acteur (1963-1968)

Tandis qu’il joue le soir au Théâtre du Gymnase Des clowns par milliers, Montand a commencé à tourner Compartiment Tueurs, le premier film d’un jeune réalisateur de trente et un ans, Constantin Costa-Gavras. Compartiment Tueurs est un thriller bien mené, rapide, dont la presse salue la virtuosité de mise en scène. C’est de là, que Montand date son véritable envol de comédien au cinéma. Jusque-là, son métier « de base », « de fond », a été la scène ; pendant deux décennies, il a couru de récitals en tournées. Désormais, les priorités sont inversées. Les planches passent au second plan. Le cinéma s’affirme comme une activité principale.

C’est à cette époque que sa vie croise celle de Jorge Semprun, ancien résistant, déporté à Buchenwald, communiste espagnol en rupture avec le Parti et va en être bouleversée. Désormais les deux hommes vont évoluer ensemble, de la critique du communisme jusqu’à son rejet. Jorge Semprun signera les scénarios de La guerre est finie, Z, l’Aveu…

C’est une histoire amoureuse. C’est quelqu’un que j’ai aimé comme on peut aimer une femme. Je l’aimais d’amour, vraiment – mais sans aucune ambiguïté – et il me l’a bien rendu, même si par son éducation, il est plus réservé que moi et manifeste moins ses sentiments. Entre nous, ce fut le coup de foudre presque aussitôt.

La guerre est finie d’Alain Resnais avec Ingrid Thulin, Geneviève Bujold et Michel Piccoli sort en 1965. Les critiques sont très bonnes pour le film, qui reçoit le prix Louis Delluc, et pour Montand, consacré Meilleur acteur de l’année aux Etats-Unis. Plus tard, l’Encyclopaedia Britannica lui rendra le plus beau des hommages en écrivant au sujet de ce film : « Yves Montand is superb. »

A présent, il ne quitte plus les plateaux. En l’espace de trois saisons, il va figurer en tête d’affiche de huit films : Paris brûle-t-il ? de René Clément, Grand Prix de John Frankenheimer, Vivre pour vivre de Claude Lelouch, Un soir, un train d’Alain Delvaux, Z de Costa-Gavras, Mr Freedom de William Klein, Le Diable par la queue de Philippe de Broca et Melinda (On a clear day, you can see forever) de Vincente Minelli.

Le succès de Vivre pour vivre est plus important que celui d’Un homme et une femme, Palme d’or au Festival de Cannes, deux ans auparavant. Quant à celui de Z, il est gigantesque, puisque le film reste trente-six semaines à l’affiche. Au Festival de Cannes en février 1969, il obtient le Prix du Jury. Aux Etats-Unis, deux Oscars lui sont attribués : celui du meilleur film étranger et celui du meilleur montage. A la fin des projections, le public, fait rarissime, applaudit à tout rompre. Z reste le premier grand film politique français qui se présente en même temps comme une œuvre destinée à tous les publics.

Le film s’est monté grâce à Jacques Perrin qui s’est battu comme un diable parce que personne n’en voulait avant. 68 a aussi changé les choses sur le plan du cinéma. Z a été le triomphe d’un certain cinéma politique. C’est à Alger, en plein tournage, que j’ai appris l’intervention des chars russes à Prague.

Montand est littéralement assommé. Depuis 1956 et la tournée dans les pays de l’Est, il s’était tenu à distance. Là, c’est la cassure.

Je suis submergé par le dégoût, l’écoeurement. Les chars russes à Prague, ce fut le coup de grâce, la fin de l’illusion que le communisme pouvait se réformer, être réformé. Ma réaction a été immédiate, primaire : je tourne la page communiste de mon existence.

Les ruptures (1968-1970)

affiche-zEn septembre 1968, après cinq ans d’absence, Montand triomphe à nouveau à l’Olympia. Il y interprète pour la première fois A Bicyclette de Pierre Barouh et Comme le scorpion, mon frère de Nazim Hikmet. Le 7 octobre, son père meurt à 77 ans, alors que ses deux fils s’opposent. En effet, le « Séguy connais pas » que Montand lance sur Radio Luxembourg, répond au « Cohen-Bendit connais pas » de Séguy et provoque ainsi la colère de Julien, membre actif de la C.G.T. Les deux frères se brouillent définitivement.

La rupture avec mon frère a coïncidé avec la rupture politique. (…) Pour moi, depuis toujours, la fidélité à mon père, à ses engagements d’antifasciste italien était à la base de ma fidélité politique. D’un coup, je deviens orphelin de mon père et du Parti. J’étais mûr pour l’Aveu.

laveuLe 22 septembre 1969, débute à Lille le tournage de L’Aveu de Costa-Gavras, avec Simone Signoret et Gabriele Ferzetti. Film « expiatoire », Montand perd 13 kilos. A sa sortie en salle, en avril 1970, la presse et le public, à l’exception des communistes, plébiscitent le film. Montand s’inscrit alors dans ce courant de la gauche intellectuelle qui rejette avec force le stalinisme.

L’artiste accompli (1970-1982)

Seize films en dix ans. Pour Yves Montand, la décennie 1970-1980, celle de la cinquantaine, marque la consécration cinématographique qu’il avait tant espérée. De formidables succès s’enchaînent tels que Le Diable par la Queue de Philippe de Broca, La Folie des Grandeurs (1971) de Gérard Oury avec Louis de Funès, César et Rosalie (1972) et Vincent, François, Paul et les autres (1974) de Claude Sautet, Le Cercle Rouge (1970) de Jean-Pierre Melville, Le Sauvage (1975) de Jean-Paul Rappeneau avec Catherine Deneuve et les thrillers signés Alain Corneau, Police Python 357 (1976), La Menace (1977) et Le Choix des armes (1980).

Parallèlement, Montand collabore avec Jean-Christophe Averty à quatre shows télévisés : Happy New-Yves en 1964, Montand chante Prévert en 1968, Montand de mon temps en 1974 et Montand d’hier et d’aujourd’hui en 1980. Ce dernier show est inspiré par l’album du même nom qui sera deux fois disque d’or avec plus d’un million d’exemplaires vendus.

Du 7 octobre 1981 au 3 janvier 1982, pour ses 60 ans, Montand fait son retour à l’Olympia à guichets fermés. Il n’était plus remonté sur scène depuis 1968, à l’exception de l’unique one-man-show de février 1974 en faveur des réfugiés chiliens. Chris Marker en a fait un document filmé intitulé La Solitude du chanteur de Fond sur les douze jours de préparation. Ces trois mois à l’Olympia sont un triomphe tel qu’il devra réorganiser une autre série de récitals en plein été, fait inédit, du 20 juillet au 14 août 1982. La tournée en province de mars à juillet, frôle également l’émeute. A Paris, à la fin du spectacle, en solidarité avec le syndicat ouvrier polonais de Lech Walesa, Montand fait descendre, chaque soir, une banderole sur laquelle est inscrit Solidarnosc.

Fin août, il entame une tournée et chante au Brésil, notamment au stade de Maracanazinho de Rio devant 20 000 brésiliens avant de se produire au Metropolitan Opera de New York, pour une semaine exceptionnelle « sold out » également. C’est la première et unique fois que ce haut lieu de l’art lyrique reçoit un artiste de music hall. Après, ce sera Washington, le Canada, Los Angeles, San Francisco et trois semaines au Japon où l’on affiche également « complet ». Cette tournée filmée par les caméras de Guy Job deviendra quelques mois plus tard Montand International.ss-mm-copie

Montand président ? (1982-1987)

Pendant les années 80, Montand devient l’acteur et l’objet médiatico-politique qui l’installe à la Une de tous les magazines. L’audience énorme de plusieurs émissions de télévision, 7 sur 7 (1983), Les dossiers de l’écran (janvier 1984), Vive la crise (février 1984) et La guerre en face (1985), alimente une véritable tornade. Le titre « Montand président ! » fait la une de tous les kiosques à journaux. Selon certains sondages, 36 % des Français seraient prêts à voter pour lui lors de la prochaine élection présidentielle. Rappelons qu’à cette époque, Ronald Reagan, acteur de série B, était Président des Etats Unis. En décembre 1987, dans l’émission Montand à domicile, il annonce qu’il ne sera pas candidat à la Présidence de la République.

En soi, la Présidence de la République ne m’intéressait pas, puisque, pour l’essentiel, c’est la satisfaction d’un désir de gloire et de réussite, d’une ambition. Toutes proportions gardées, cela, je l’avais déjà. Mais j’avais envie de dire des choses. Or, pour les dire et être entendu, il fallait jouer le jeu. J’espérais faire de la politique sans devenir politicien. C’est impossible.

Le 30 septembre 1985, Simone Signoret meurt d’un cancer, pendant que Montand tourne Jean de Florette et Manon des Sources de Claude Berri d’après Marcel Pagnol. Son inhumation a lieu le 1er octobre au cimetière du Père Lachaise, où Montand la rejoindra six ans plus tard. Il n’est jamais retourné sur sa tombe. Ce n’est pas là qu’est Simone. Elle est dans l’air, elle est autour de lui, elle a enveloppé toute sa vie d’adulte. C’est une présence réelle. Les morts ne sont pas absents, dira Montand, ils sont invisibles.

Le dernier bonheur (1987-1991)

avec-valEn mars 1987, après avoir été le grand oublié des Césars pour son interprétation du Papet, il révèle au quotidien Nice Matin, « qu’un tendre sentiment le lie à Carole Amiel » et ajoute : « On ne refait pas sa vie, on continue simplement de vivre». Carole est une gamine de Saint-Paul qu’il connait depuis 1974. Elle participera à ses tournées française et internationale de 1982 car elle parle très bien l’anglais et l’italien et pratique convenablement l’allemand et l’espagnol. En mai, Montand est Président du Festival de Cannes. Toute la presse reprendra l’image, aux marches du palais, d’Yves Montand entre Carole Amiel et Catherine Deneuve.

Après la sortie en novembre 1988 de Trois Places pour le 26, une comédie musicale de Jacques Demy où Montand joue son propre rôle, Carole met au monde, le 31 décembre 1988, leur fils Valentin, Giovanni, Jacques Livi. La marraine est Christine Ockrent et le parrain Jean-Louis Livi, neveu de Montand.carole-et-deneuve

Cet enfant vient tard, mais c’est le mien et je suis fou de joie. Donc, si je rechante, ce sera pour Valentin, pour lui dire à l’oreille, même s’il y a cinq mille personnes autour, les paroles de Jean-Loup Dabadie :
“Une journée nous sépare au départ Tu es le tout petit matin, Valentin Je suis la tombée du jour mon amour.”

En janvier 1991, sort Netchaëv est de retour de Jacques Deray d’après le roman de Jorge Semprun. En septembre, il débute le tournage du film de Jean-Jacques Beinex IP5.

Le 9 novembre, alors que le film est achevé, Montand est victime d’un malaise cardiaque dont il ne se relève pas. Il ne pourra se produire à Bercy en mai 1992, comme il l’avait prévu, et chanter pour Valentin…

 

 

Cette biographie n’aurait pu être réalisée sans l’aide – oh combien précieuse ! – du merveilleux ouvrage (« la Bible » selon Montand) « Tu vois, je n’ai pas oublié » de Patrick Rotman, Hervé Hamon et … Yves Montand, (Fayard-Le Seuil -1990) et de l’album photographique de Michel Ginies tout simplement intitulé « Montand » (Vade retro-1995).